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Chroniques
Singing Garden
spectacle de Philippe Arlaud
Un semestre après le formidable Tempelbrand [lire notre chronique du 29 mars 2018], l’Opéra national du Rhin revient à la musique de notre temps, avec un patchwork intitulé Singing Garden qui n’appelle pas d’éloges similaires. Il convient de dire, tout d’abord, que notre installation fut difficile, puisqu’il fallut passer un premier contrôle de sécurité sur une partie de la place Broglie ceinte de barrières métallique, se faire poser au poignet une bande de papier fluorescent – « comme pour le bétail », plaisantent les autorités elles-mêmes –, pour de nouveau être fouillé sur le parvis du théâtre. Mais le trouble-fête, en cette première du spectacle, n’est pas le fanatique armé mais le bourgeois sexagénaire qui, avisant un rang réservé à la presse encore vide à cette heure, décrète la soirée en placement libre.
À l’heure où commence la pièce de Toshio Hosokawa (né en 1955) qui donne son nom au spectacle, nous voilà donc, avec d’autres, cavalant dans les couloirs de l’institution, accompagnés par un service de sécurité qui, moins efficace encore que les ouvreuses, n’a pas réussi à déloger les intrus fanfaronnant. De l’auteur d’Erdbeben, Träume [lire notre chronique du 6 juillet 2018], autant dire que nous n’avons pas entendu la création française d’une œuvre de 2002, mais quelque chose de terne, là où se niche sans doute l’exercice méditatif.
De l’ancienne élève de Ligeti, Unsuk Chin (née en 1961), on sait le goût pour l’absurde et l’onirisme, incarnés dans son opéra Alice in Wonderland [lire notre chronique du 14 juin 2010], mais aussi dans des soli tel Allegro ma non troppo (1994), avec son percussionniste confronté à un énorme paquet-cadeau [lire notre chronique du 27 novembre 2015]. Coréenne, elle aussi, et familière du répertoire contemporain, Yeree Suh sublime une pièce qu’elle connaît bien, Akrostichon-Wortspiel (1993), inspirée par Michael Ende et Lewis Carroll [lire notre chronique du 10 octobre 2015]. En robe blanche, avec des airs de fouine, le soprano domine un arrière-plan assez monochrome à l’aide d’une voix charnue, ample et souple, sans jamais manquer de souffle pour gémir ou réciter l’alphabet – et en rire.
Venu du Chili pour continuer ses études à Paris, Francisco Alvarado (né en 1984) apprit de ses aînés au conservatoire ainsi qu’à l’Ircam (Ferneyrough, Gervasoni, Maresz, Naón, Posadas, etc.). Son travail est marqué par l’exploration du timbre, trouvant profit à utiliser l’électronique. Dans Corps et ombre ensemble s’engloutissent, ici en création mondiale, l’orchestre s’éveille, évanescent, puis gagne en confiance lorsque survient la contrebasse, sans jamais hurler – accordéon discret, piano joué sur les cordes, craquements d’une bouteille de plastique, etc. Membre de Musikfabrik depuis 2015, Florentin Ginot joue avec une virtuosité qui privilégie pizzicatti et longs traits d’archet. Malheureusement, la pièce tourne vite en rond.
Contrairement à ce qu’annonce le programme, l’opus suivant se nomme bien Manifesto (2015), une pièce brève d’un des fondateurs de l’ensemble Bang on a Can, David Lang (né en 1957) [lire notre chronique du 13 juin 2005]. Dans une grande mélancolie minimaliste, trois solistes se détachent du chœur masculin pour lancer un appel à un être dont l’amour ne se lasserait pas du narrateur. Ce sont des artistes du chœur maison, de même que la majorité des femmes intervenant, ensuite, dans des extraits de Rhondda Rips it Up!
Formée à Moscou puis à Londres, Elena Langer (née en 1974) s’intéresse aux suffragettes du livret d’Emma Jenkins avec les codes de la comédie musicale. Comme elles sont longues, ces vingt minutes qui ferment, dans un contraste sonore désolant, le spectacle mis en scène par Philippe Arlaud ! Visuellement, pourtant, tout menait à ce final farfelu. Non les vidéos d’une mer grisâtre, bien sûr, qui évolue derrière le jeune ensemble instrumental émergeant de la scène alsacienne, dirigé par Claire Levacher, mais les allers-retours de machinistes trimbalant articles de plage et pancartes sensées faire rire, pendant les interludes où résonnent cris d’enfants, chants d’oiseaux et roulements de tonnerre. Du moins apprécie-t-on la nuance et l’agilité d’Anaïs Yvoz (Helen), artiste émouvante de l’Opéra Studio.
La salle se vide au son du Libertango de Piazzolla.
Commence une seconde partie de soirée, sur le carré de place évoqué plus haut. Les danseurs et jeunes chorégraphes du Ballet de l’Opéra national du Rhin y présentent Hacking Garden, un hommage aux musiques et danses sud-américaines (salsa, bossa, cumbia, etc.) – avec beatmaker, saxophone et alto augmenté. Fatigué par le froid, la station debout et la contemplation de son propre visage sur les écrans géants tendus entre les six colonnes du péristyle, le public se résigne vite à quitter les lieux… Pourquoi un tel ratage, d’un bout à l’autre de la soirée ? Nous le comprenons en apprenant la présence de Musica à l’organisation, un festival autrefois incontournable mais dont les choix esthétiques, acoustiques et relationnels ont fini par faire fuir l’essentiel et la nouveauté.
LB